Patrick Lalande 6nw3z
L'os du souffle par Catherine Andrieu. 37623d
attend. On croit parfois voir une gousse, une coque, une cosse qui aurait gardé trace d’un souffle. On ne sait jamais si c’est le début ou la fin. Et c’est là la beauté.
Et puis, surgit la chute. Non pas une fin, mais un retournement. Un repli. Une bascule vers le sommeil du monde. Avec Gisant, Janus, les formes s’enracinent. Le haut s’incline vers le bas. Ce qui se dressait devient mémoire. Ce qui affleurait s’efface. Ce sont des visages maintenant, ou ce qu’il en reste. Têtes couchées, cabossées, creusées par les temps et les feux, figures fossiles qui dorment les yeux clos. Mais dans leur sommeil, elles parlent.
Quelque chose repose et veille, tout à la fois. Comme un temps couché sur son socle de bois, un souffle retenu dans le métal. Les sculptures de Patrick Lalande, à la fois racines, visages et braises, portent ce nom étrange de Gisant, Janus – double appel à la tombe et au seuil, à l’endormi et au dieu biface. Mais ce qui frappe d’abord, c’est l’incertitude : sommes-nous devant des restes ou des naissances ? Des reliques d’âme ou des masques rituels ? Il ne s’agit pas de choisir. L’œuvre se tient là, dans cette tension.
Ces têtes rugueuses ont la texture des vieux arbres, les rides des cendres, la couleur des choses que le feu n’a pas tout à fait consumées. Bronze blessé, bronze battu, presque peau, presque pierre. C’est un matériau qui garde mémoire des gestes – de ceux du sculpteur, bien sûr, mais aussi de ceux du vivant qu’il suggère : paupières closes, lèvres scellées, arc du nez, os du front… chaque fragment semble surgir d’un lent oubli.
Ces visages sont plus que des portraits. Ils sont les vestiges d’un peuple enfoui – ou en devenir. Ce n’est pas la mort qu’ils disent, mais le age. Ils nous regardent sans yeux, ils murmurent sans bouche. Ils dorment debout, sur un socle rond comme une offrande ou une racine retournée. Parfois, un visage double se déplie, Janus, gardien des temps, et l’on comprend : ce n’est pas un simple gisant. C’est un seuil.
L’homme est là, oui, mais à peine homme. Il est matière revenue à la matrice. Le bois, base rugueuse et chaleureuse, semble vouloir avaler le bronze. Et le bronze résiste, il affleure, il survit. Cela donne à l’ensemble une force mystique, celle d’une lutte très ancienne entre les règnes, entre ce qui veut durer et ce qui doit sombrer. Les sculptures de Lalande tiennent cette tension dans leur mutisme vibrant.
Il faut tourner autour de ces figures comme on tourne autour d’un mystère : lentement, humblement. L’érosion y est belle. La fracture y est féconde. Le défaut y est langage. Chaque fissure semble dire quelque chose de nous : notre fatigue, notre foi, notre é mythique. Ces têtes sont des chants figés – et pourtant, on entend en elles quelque chose battre.
Dans Gisant, Janus, on descend. Dans les figures sans titre, on s’élève. C’est la même matière, la même main, le même feu – mais un autre souffle. Il ne s’agit plus d’enfouir, mais d’étirer. De tendre l’être jusqu’à ce qu’il touche le ciel. Les figures deviennent lignes. Les lignes deviennent présence.
Ainsi vont les sculptures de Patrick Lalande. Elles ne décrivent pas, elles transfigurent. Elles ne sont pas des formes. Elles sont ce qui subsiste quand tout s’est tu. Elles sont l’os du souffle.